17
Novembre
2022
|
09:00
Europe/Amsterdam

Le Maître émailleur, artisan de la couleur

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  • Véritable alchimiste, le Maître émailleur travaille les poudres et le feu, perpétuant des savoir-faire ancestraux pour ornementer les montres …
  • Le Maître émailleur de Vacheron Constantin est parmi les rares à maîtriser les secrets de l’émail grisaille, dont il aborde la technique de façon expérimentale.  

« L’émaillage est l’art d’embellir et de personnaliser des montres exceptionnelles, grâce à un panel de techniques et de savoir-faire uniques : champlevé, cloisonné, basse taille, émail grisaille, peinture miniature, plique-à-jour ou flinquage » définit le Maître émailleur de Vacheron Constantin.

Un art ancien. Les horlogers ont en effet adopté très tôt les différentes techniques d’émaillage, dès le XVIe siècle, faisant de ces réalisations de véritables œuvres d’art. S’il est vulnérable aux chocs, l’émail est un matériau robuste, presque inaltérable, dont la vivacité des couleurs chatoyantes lui confère une préciosité rare dans l’ornementation des montres et des pendulettes. Genève en possède la primeur, le savoir-faire de ses artisans dans cet embellissement des garde-temps remontant au XVIIe siècle avec les « émaux de Genève », une technique de peinture miniature en émail grand feu sous fondant.

« L’émaillage, c’est de l’alchimie, un métier d’un autre temps qui possède ses secrets.

Dès ses origines en 1755, Vacheron Constantin participe pleinement à cette effervescence artistique du Siècle des Lumières. « L’émaillage, c’est de l’alchimie, un métier d’un autre temps qui possède ses secrets, souligne le Maître émailleur de Vacheron Constantin. Cette part de mystère est comme une épée de Damoclès car, malgré l’expérience, l’incertitude liée à la cuisson est permanente. » Plutôt que l’intelligence du geste, ce dernier préfère en évoquer sa maîtrise. « L’art de l’émaillage demande du calme, de l’apaisement et une certaine faculté à prendre de la distance, dit-il. L’essentiel est de savoir comment interpréter la demande d’un client ou celle du studio design. Comment les embellir sans les changer. Tout est là. C’est l’œil qui commande la main, avec tout ce que cela peut apporter en subjectivité. »

Depuis quatre mille ans, l’art de l’émaillage n’a cessé d’embellir des objets décoratifs les plus divers. Cette technique requiert une maîtrise consommée du geste mais aussi une grande expérience des matériaux de base – les émaux et leur composition – comme dans l’art du feu. L’émail est en effet une matière fondante composite, faite à partir de différents minéraux auxquels sont ajoutés des oxydes métalliques pour obtenir la couleur. Il se présente généralement sous la forme de poudre qui, en haute horlogerie, est appliquée sur un support métallique (cuivre, argent ou or) en fines couches successivement cuites au four. On parle d’émail « grand feu » lorsque le point de fusion est obtenu à une température plus élevée que les émaux classiques, soit entre 820°C et 850°C. « Le passage au four recèle toujours une part de magie difficilement maîtrisable. Tout l’art de l’émailleur se révèle sous le feu » explique le Maître émailleur de Vacheron Constantin.

Quelle que soit la technique utilisée, l’émailleur dépose à l’aide d’un pinceau d’une extrême finesse sa poudre d’émail de la couleur choisie. Après la première pose de couleur, la pièce subit un premier passage au four autour de 800°C. Puis l’artisan poursuit son œuvre en ajoutant une deuxième couleur qui exige un nouveau passage au four, répétant l’opération autant de fois que nécessaire pour couvrir toute la palette des teintes du motif à réaliser, avec, comme préoccupation constante, de réussir ces cuissons successives sans altérer la pièce : une fissure dans l’émail, l’émergence de microbulles en surface, des couleurs qui brûlent lors d’un passage au four condamnent immanquablement le travail déjà réalisé.

« Tout l’art de l’émailleur se révèle sous le feu. »

Pour pouvoir exercer son art, le Maître artisan de Vacheron Constantin s’assure de disposer des bonnes poudres d’émail ; certaines d’entre elles, véritables alchimies des temps passés, datent d’une centaine d’années. Pour la Maison, l’émaillage est une technique d’artisanat d’art relevant d’un patrimoine scrupuleusement entretenu au cours des siècles. Ainsi, aujourd’hui, l’émailleur de la Maison est parmi les rares à perpétuer la tradition de la peinture miniature et de l’émail grisaille, considérés comme le summum de la haute horlogerie.

A partir d’un fond émaillé sombre ou noir, il dessine d’abord un motif par dépôts successifs de pointes de blanc de Limoges pour obtenir des nuances de gris et des effets de clair-obscur. « C’est une technique plus artistique, plus intuitive » explique le Maître émailleur de Vacheron Constantin, ancien émailleur de Limoges, en France, qui a ressuscité cet art au sein de la Maison. Chaque couche est passée au four durant un laps de temps calculé à la seconde car tout excès de chaleur peut potentiellement effacer le dessin. La finesse de la peinture d’émail grisaille Grand Feu révèle alors tous les détails, comme dans la série Métiers d’Art Hommage à l’Art de la Danse où le moindre pli des tutus, le velouté d’un ruban ou la transparence de la tulle apparaît au grand jour.

Le Maître émailleur ne révèle que rarement ses secrets. Ses outils, aussi, sont sacrés. « L’émailleur possède plus de matériels que ses collègues guillocheurs, sertisseurs ou graveurs : l’émail d’abord mais aussi les peintures, les feuilles et les fils d’or, les pinceaux en poil de martre et le four » détaille-t-il. « Chez Vacheron Constantin, nous avons la chance de travailler dans un atelier où sont rassemblés tous les métiers d’art et doté d’une très grande autonomie. Nous sommes Maîtres d’œuvre et nous avons le temps de pouvoir exercer notre art sans contrainte. Cette spécificité est d’une grande valeur. » Elle est incarnée dans des pièces exceptionnelles comme la montre unique Les Cabinotiers Tourbillon Joaillerie Hippocampe dont le cadran combine divers métiers d’art traditionnels : le cheval des mers est réalisé en émail cloisonné avec des nageoires serties sur un fond de cadran partiellement guilloché.

« Chez Vacheron Constantin, nous avons la chance de travailler dans un atelier où sont rassemblés tous les métiers d’art et doté d’une très grande autonomie. »

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Les techniques d’émaillage

Le champlevé – Technique de loin la plus ancienne, appliquée notamment sur les quatre montres composant la série Les Cabinotiers Les Oiseaux chanteurs, elle consiste à graver à la pointe sèche le motif avant de remplir avec de l’émail les cavités ainsi formées. Les émaux sont ensuite fondus à plus de 800°C au cours de cuissons successives. Le travail prend fin avec un lapidage, servant à égaliser la matière, et un feu de glaçage permettant de redonner de la brillance et un état de surface bien tendu.

 

Le cloisonné – Cette technique consiste à cerner le contour des motifs à l’aide d’un fil d’or ou d’argent, lui-même fixé sur sa base avec une colle, ou gomme adragante, qui disparaît à la cuisson. Comme sur cette pièce à exemplaire unique Les Cabinotiers La Caravelle 1950, l’émail est déposé en couches successives dans chacune de ces alvéoles afin d’obtenir les volumes et couleurs souhaités au terme des multiples passages au four. Après la dernière cuisson, la surface est lapidée et glacée pour le rendu final.

 

Le plique-à-jour – Cette méthode d’émaillage est dérivée du cloisonné, ici dit « à jour » ou plique-à-jour, mais sans fonds métallique à l’état final. Les alvéoles sont collés sur un support en cuivre fin qui, après cuisson des émaux, est dissout à l’aide d’acides. La disparition de fond offre ainsi des effets de transparence identiques à ceux produits par un vitrail. Effets que l’on retrouve sur les fonds translucides des cadrans formant la série Métiers d’Art Les Aérostiers.

 

La miniature - Cette technique, mise en exergue avec la série de montres Métiers d’Art Chagall & L’Opéra de Paris, consiste à peindre à la main les motifs désirés sur une couche d’émail cuite qui tient lieu de support au dessin. Appliquée en plusieurs fines couches et par couleur, la peinture est fixée à chaque fois par cuisson dont le nombre peut grimper en fonction de la complexité du motif. Une fois la peinture achevée, l’artisan protège l’œuvre à l’aide d’un émail transparent appelé fondant pour lui donner éclat et profondeur.

L’émail grisaille – L’émail grisaille consiste, à partir d’un fond émaillé sombre ou noir, à dessiner un motif par dépôts successifs de pointes de blanc de Limoges – un émail blanc pâteux – afin d’obtenir des nuances de gris et des effets de clair-obscur. Chaque couche est passée au four durant un laps de temps calculé à la seconde car tout excès de chaleur peut potentiellement effacer le dessin. Cette technique magistrale et rarement maîtrisée est notamment à observer sur les montres constituant la série Métiers d’Art Hommage à l’Art de la Danse. 

 

Le flinquage – Cette technique consiste à recouvrir d’émail transparent, parfois légèrement coloré, une surface préalablement guillochée. Cette opération donne à la pièce un éclat particulier en intensifiant les jeux de reflets du guillochis. Sur la pièce Métiers d’Art Les Univers Infinis, les Maîtres artisans de Vacheron Constantin ont conjugué leurs savoirs pour la réalisation d’un cadran alliant guillochage et émail cloisonné.

L’émail en goutte de suif - Avec la technique du cloisonné ou champlevé, l’émail est posé dans les alvéoles en plusieurs couches fines légèrement bombées puisqu’après chaque cuisson, l’émail a tendance à s’affaisser. Généralement, la pièce est ensuite lapidée puis recouverte d’un fondant. Il existe toutefois une technique nommée émaillage en goutte de suif, comme sur certaines montres de poche historiques de Vacheron Constantin, qui consiste à bomber fortement la dernière couche d’émail pour qu’elle reste convexe après cuisson.

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Sélection de montres

Montre de poche en or jaune, peinture sur émail (1810)

Cette montre de poche de 1810, la plus ancienne pièce émaillée de la collection privée de Vacheron Constantin, offre un excellent exemple des pièces réalisées à cette époque qui conjuguent les talents des Maîtres artisans dans l’art de la gravure, du guillochage, du sertissage et de l’émaillage. Le dos du boîtier en or jaune est orné d’une peinture miniature sur émail représentant des fleurs sur un fond de paysage. Ce chef-d’œuvre d’une exécution parfaite est entouré d’une arabesque en or ciselé délimitant six motifs incrustés de perles qui se détachent sur un fond d’émail noir. La carrure, le pendant et la bélière en or sont délicatement ciselés. Ce type de réalisations en peinture miniature sur émail grand feu, dont Genève était le fer de lance, offrent une texture et des jeux de couleurs d’une précision inimitable qui ont fait la réputation d’horlogers comme Vacheron Constantin.

Montre à pendant en or jaune, émail miniature et émail translucide (1908)

Cette pièce pendentif est portée sur une chaîne mêlant or jaune et or blanc, diamants et perles. Sa boîte finement ouvragée, en émail translucide sur fond guilloché, met à l’honneur la thématique florale, notamment avec de subtiles touches d’émail peint miniature, et des appliques de motifs floraux en platine et diamants. L'émail miniature fait ici l’objet d’une finition difficile à égaler avec des couleurs vives et délicates ainsi qu’une texture lisse. Les jeux de lumière s’associent à la technique d’émail translucide pour livrer des formes douces, fluides, voire organiques. Les ajours de platine, rappellent le délicat travail de dentelle, et permet au travail de l’émail de gagner en légèreté et en préciosité.

Egérie Creative Edition, émail noir (2022)

Inspirée par une dentelle de Burano, cette montre en or blanc associe le savoir-faire horloger et quatre Métiers d’art dont l’émail noir, couleur la plus délicate à maitriser dans le sens où toute aspérité, micro-trou ou micro bulle ressortiront à la lumière. L’émail noir se retrouve ici appliqué sur un motif tapissé apportant contraste et volume mais également en plique-à-jour sur un nuage, permettant un effet de transparence.

Métiers d’Art Fabuleux Ornements – manuscrit indien (2014)

La série Métiers d’Arts Fabuleux Ornements célèbre les beautés ornementales du monde issues des arts décoratifs de plusieurs cultures. Quatre modèles combinent plusieurs métiers d’art. Une dizaine de Maîtres artisans se sont ainsi relayés pour réinterpréter avec talent l’architecture ottomane, la broderie chinoise, la dentelle française et le manuscrit indien. Dans un boîtier en or rose, auréolé d’une lunette sertie, dix couleurs d’émaux composent le cadran. Elles dessinent des fleurs d’inspiration orientale qui s’épanouissent sur un ciel bleu cerclant le mouvement squelette. Les contours du décor sont champlevés pour créer des alvéoles séparés par de minces cloisons d’or destinées à recevoir uns à uns les émaux. Les feuillages, gravés à la main après émaillage, représentent l’ultime étape, la plus délicate, pour aviver l’éclat de la pièce sans la dénaturer.

Les Cabinotiers Répétition minutes tourbillon – Flying Dutchman (2022)

La montre à exemplaire unique Les Cabinotiers Répétition minutes tourbillon – Flying Dutchman rend hommage à la légende de ce capitaine maudit qui a notamment inspiré Richard Wagner. Pour reproduire la mer en furie sous un ciel de pleine lune strié d’éclairs, le Maître artisan a réalisé le décor en peinture miniature, dans la grande tradition des « émaux de Genève » des 17e et 18e siècles. L’apparition du vaisseau vient s’ajouter dans un deuxième temps en émail grisaille, dans un jeu d’ombres et de lumière qui traduit l’univers fantasmagorique de la légende. Cette deuxième phase exige savoir-faire et doigté dans la mesure où toute fausse manipulation risque d’anéantir les deux mois de travail artisanal qui ont précédé.