27
Mars
2023
|
08:30
Europe/Amsterdam

Haute Horlogerie : Les affichages rétrogrades, une signature Vacheron Constantin

  • Apparus au 18ème siècle, les affichages rétrogrades, parfois accompagnés d’indications sautantes, représentent une difficulté technique qui demande une extrême précision.
  • Chez Vacheron Constantin, Les indications sautantes apparaissent dès 1824, les montres de poignet à affichage rétrograde plus d’un siècle plus tard.
  • Aujourd’hui signature de Vacheron Constantin, ces complications horlogères font désormais partie des collections courantes de la Maison.
     

Les affichages spéciaux, qui entrent dans la conception mécanique des mouvements horlogers pour découpler les fonctions indiquées sur le cadran du train de rouage, ont très tôt intéressé les horlogers. Ces complications, dont font partie les affichages sautants et rétrogrades, offrent en effet la possibilité de nouvelles interprétations de l’écoulement du temps, à la fois technique et esthétique. Vacheron Constantin imagine des montres de poche à indications sautantes dès le début du 19ème siècle et développe des montres à affichages rétrogrades au 20è siècle. Ces complications d’affichage sont devenues une signature technique et esthétique de la Maison, intégrées dans plusieurs collections.

Les affichages rétrogrades et sautants sont une complication technique qui a très tôt occupé les horlogers souhaitant aller au-delà des indications horaires traditionnelles avec une aiguille centrale des heures et quantième numérique par guichet. On en trouve en effet mention dès le milieu du 18ème siècle grâce aux aménagements de cadran désormais possibles par le déplacement des indicateurs horaires ou calendaires. Les premiers affichages sautants apparaissent au sein de la Maison dès 1824. Mais c’est surtout à partir du milieu des années 1930 que la Maison se distingue avec des affichages rétrogrades en montres de poignet, à une période où les codes horlogers connaissent un fort élan créatif.


Mécanismes de précision
Un affichage est dit rétrograde lorsque l’indicateur n’effectue pas un tour complet de cadran mais revient à son point de départ pour entamer une nouvelle course après avoir parcouru l’entier de de son segment de mesure. Généralement, il s’agit d’un arc de cercle survolé par une aiguille. A part les affichages rétrogrades s’appliquant aux indications horaires cycliques comme les heures, minutes, secondes ou dates, il existe également des affichages rétrogrades dits à « balayage » pour une réserve de marche par exemple.

Ce mécanisme exige une grande précision. Contrairement à une montre traditionnelle, l’aiguille rétrograde n’engrène pas directement avec la roue qui lui est dédiée mais se positionne sur un axe décentré. Ce même axe est muni d’un ressort et d’un pignon. La roue d’engrenage est coiffée d’un limaçon, autrement dit d’une came portant des encoches. Entre les deux, une bascule est munie d’un bec d’un côté qui coulisse le long du limaçon, et d’un râteau de l’autre, qui engrène avec le pignon des secondes par exemple. La rotation de l’engrenage fait ainsi avancer l’aiguille rétrograde via cette bascule qui tend le ressort. En bout de course, lorsque le bec tombe dans l’encoche du limaçon, la bascule ramène instantanément l’aiguille des secondes à zéro sous l’effet du ressort rattaché au pignon. Ce type de mécanisme nécessite de la rigueur, notamment au niveau de la résistance aux chocs et à l’usure. Selon ses composants, l’organe indicateur revient à sa position initiale à des vitesses pouvant dépasser 60 km/h.

Les affichages sautants demandent également une architecture particulière. Le principe veut que l’énergie provenant du rouage soit transmis à un mécanisme de stockage qui se décharge périodiquement. Là également, on trouve généralement une came en forme de colimaçon. Lorsque cette dernière a effectué un tour complet, une bascule tombe dans son encoche pour libérer instantanément l’affichage concerné, celui des heures par exemple, voire plusieurs affichages si le système est monté en série, provocant des réactions en cascade.


Retour en arrière : les Années folles
Historiquement, on trouve mention d’une horloge de parquet astronomique à quantième rétrograde réalisée en Allemagne au milieu du 18e siècle alors qu’à même époque, certaines pendules affichent les heures et les minutes sur des cadrans en demi-cercle gradués de 6h à 6h parcourus par des aiguilles rétrogrades. Pour ce qui est des montres de poche, un modèle à date et mois rétrogrades de 1791 est décrit dans le Journal Suisse d’horlogerie de l’année 1906, tandis que la Maison Lépine à Paris réalise durant cette même décennie une montre à aiguille des heures rétrograde. C’est toutefois au début du 20e siècle et surtout à partir des Années folles, lorsque l’horlogerie s’affranchit des codes de la montre de poche, que les affichages spéciaux et notamment rétrogrades connaissent un véritable engouement. Le mouvement Art déco est en pleine effervescence et les esprits créatifs sont à l’œuvre pour réaliser des boîtiers de forme et des cadrans imaginatifs avec affichages rétrogrades, voire sautants. Vacheron Constantin se distingue durant cette période avec des montres dont la liberté de style incarne parfaitement cet élan artistique.

Les affichages sautants, soit le changement brusque de l’indication horaire, participent pleinement de ces nouvelles définitions des codes horlogers. Apparu avec la seconde sautante au milieu du 18e siècle, puis avec l’heure sautante, cet affichage connaît ses premiers grands succès dès les années 1820 avec les fameuses montres à guichet où l’heure numérique est indiquée par disque sautant à 12h, tandis que les minutes restent égrenées par aiguille, à l’image des régulateurs. Vacheron Constantin s’illustre avec une première création à heure sautante en 1824. Bientôt, les minutes sautantes apparaissent dans un guichetavec la trotteuse des secondes comme seul élément conforme aux garde-temps traditionnel. Avec l’avènement des montres de poignet, c’est l’affichage par disques des heures sautantes, accompagnées des minutes traînantes qui connaît un certain engouement, notamment du fait que la quasi-absence d’aiguilles font de ces modèles de montres particulièrement résistantes aux chocs.

Avec le renouveau de la montre mécanique, les affichages sautants connaissent des évolutions significatives par segments rotatifs, palettes mobiles ou encore par prismes tournants, sans oublier la combinaison heures sautantes et minutes rétrogrades privilégiée par Vacheron Constantin sur le modèle Saltarello par exemple. Le constat est le même avec les indications rétrogrades. Après une longue période d’absence, ce type de complications renaît avec le succès de la montre-bracelet mécanique dans les années 1990 D’un point de vue technique, le cadran se complexifie avec des affichages bi-rétrograde, tri-rétrograde, voire davantage.


Vacheron Constantin et les affichages rétrogrades
Les affichages spéciaux de type rétrograde connaissent un premier âge d’or chez Vacheron Constantin à partir des années 1920, une époque où la Maison se distingue avec un style qui illustre parfaitement les principes esthétiques de l’Art déco. Pour comprendre la genèse de cet élan créatif, il faut remonter quelques années plus tôt, lorsque Vacheron Constantin entre en contact avec Ferdinand Verger. En 1880, la gestion des ventes de la Manufacture pour les départements français est confiée à ce jeune horloger installé place des Victoires. Ce dernier fonde sa propre Maison de fabrique de boîte de montres en 1896 tout en demeurant le représentant exclusif de Vacheron Constantin dont il achète les montres et les mouvements. Dès 1920, ses fils reprennent sa succession sous la nouvelle raison sociale Verger Frères, poursuivant le partenariat avec Vacheron Constantin jusqu’en 1938.

Cette collaboration donne naissance à de nombreuses créations entre les années 1910 et1930. Cette période Art déco est propice à l’imagination et aux extravagances les plus folles. Les montres de formes se multiplient, les dates au guichet apparaissent, tout comme les affichages spéciaux au rang desquels les heures sautantes et minutes rétrogrades. Un des modèles incontournables qui ont fait la renommée de Vacheron Constantin durant ces années est la montre de poche « Bras en l’Air » au double affichage rétrograde de 1930. Sur pression du poussoir à 10h, les bras d’un magicien chinois en or gravé et émaillé se soulèvent pour indiquer l’heure et les minutes. Autre pièce remarquable qui date de 1929 , cette montre à heure sautante et minutes affichée sous le cadran par aiguille dont seule l’extrémité en onyx apparaît.


Mythique « Don Pancho »
La montre baptisée Don Pancho par les collectionneurs, du surnom de son commanditaire, est réalisée par Vacheron Constantin durant les années 1930. En 1935, la Maison reçoit de Brooking, son revendeur officiel basé à Madrid, un courrier faisant état d’une commande de la part d’un client pour une montre de poignet aux fonctions qui, à l’époque, sont plutôt réservées aux montres de poche à complications de la manufacture. En raison des difficultés de communication à l’aube du deuxième conflit mondial et de la guerre d’Espagne qui fait fuir au Chili son commanditaire Francisco Martinez Llano, propriétaire terrien, la réalisation de cette pièce se complique. Preuve en sont les échanges de courriers conservés dans les archives de la Maison qui permettent de suivre le processus créatif de cette pièce, l’une des trois seules montres de poignet connues et produites avant 1940 réunissant une répétition minutes et des indications calendaires, avec aiguille rétrograde.

Quatre ans sont nécessaires pour honorer cette commande et livrer en 1940 la Référence 3620, aujourd’hui connue comme la Don Pancho, montre-bracelet de forme tonneau en or jaune, singulière avec sa couronne à 12h et sa répétition minutes aux tonalités volontairement basses, déclenchée par une gâchette positionnée à droite. Les fonctions calendaires offrent une indication des jours de la semaine, dans le compteur de la petite seconde, complétés par un quantième par aiguille centrale rétrograde. Au dos de la montre figurent les initiales en émail bleu de Francisco Martinez Llano. La montre est livrée avec cinq bracelets identiques, facilement interchangeables, et deux cadrans porteurs de la double inscription Vacheron & Constantin Genève et Brooking Madrid, dont l’un avec chiffres luminescents au radium, luminescence à retrouver sur les aiguilles. Francisco Martinez Llano portera cette montre sept ans, avant son décès en 1947 ; la pièce disparaît alors dans les coffres de la famille durant 60 ans. Elle réapparaît en 2010, parfaitement identifiée grâce aux registres de Vacheron Constantin des années 1930.

L’histoire de la Don Pancho connaît un nouvel épisode en 2019 avec son passage sous le marteau du commissaire-priseur, un événement pour cette pièce unique présentée comme une des montres de poignet les plus compliquées de son temps et décrite ainsi dans le catalogue de vente aux enchères Phillips (mai 2019) : « On ne soulignera jamais assez l’importance historique de ce garde-temps. Fabriquée à une époque où les montres-bracelets à complications multiples n’existaient tout simplement pas, elle constitue une prouesse technique et un chef-d'œuvre du génie humain. La combinaison d’une répétition minutes et d’un calendrier avec date rétrograde n’avait jamais été vue auparavant dans une montre-bracelet et il faudra attendre près de 60 ans pour voir quelque chose de similaire. » Les collectionneurs, déjà alertés de l’existence de cette pièce d’exception par une publication des années 1990 sur les montres historiques de Vacheron Constantin, se sont immédiatement intéressés à la Don Pancho qui a réalisé la deuxième meilleure enchère jamais obtenue par une montre-bracelet de la Maison.


Une signature esthétique
Après les années 1930, l’inspiration créative à la base des affichages spéciaux connaît une période d’accalmie. Chez Vacheron Constantin, l’engouement pour des cadrans sortant de l’ordinaire réapparaît dans les années 1990, notamment avec la montre Mercator présentée en 1994. Les designers de la Maison s’inspirent de l’affichage « bras en l'air » du début du siècle pour l’intégrer dans le volume nettement plus restreint d’une montre de poignet. Hommage au géographe du 16e siècle Gérard Mercator, cette création présente un double affichage rétrograde divergent des heures et des minutes traînantes sur un cadran émaillé ou gravé. Le positionnement de l’axe des aiguilles à 12h offre une surface d’expression idéale sur cette pièce de la collection Métiers d’art. Trois ans plus tard, en 1997 lors d’un salon horloger à Berlin, la Maison se distingue avec son édition limitée de la montre surnommée Saltarello à affichage par heures sautantes et minutes rétrogrades sur un cadran argenté guilloché soleil.

Avec l’avènement du nouveau millénaire et l’apogée de la montre mécanique, l’audace horlogère se traduit par davantage de liberté au niveau des cadrans. Les affichage rétrogrades de Vacheron Constantin intègrent les collections courantes. On en trouve les prémisses avec les références 47245 et 47247, deux modèles de montre-bracelet avec jours de la semaine à 6h et quantième rétrograde sur un cadran semi-ouvert pour ce qui est du second modèle. La référence 47031 relève de la même approche avec l’ajout d’un quantième perpétuel. Ces montres datant du début de années 2000 préfigurent la collection Patrimony dont le galbe s’inspire des modèles Vacheron Constantin des années 1950. La Référence 57260, révélée lors du 260e anniversaire de Vacheron Constantin en 2015, affiche une date rétrograde et un chronographe à rattrapante à double aiguille rétrograde, complication originale et inédite.

Cette signature esthétique se retrouve dans les nouveautés 2023 de la Maison, déclinée dans les collections Overseas, Patrimony, Traditionnelle et au cœur de la pièce à exemplaire unique Les Cabinotiers Dual Moon Grande Complication. Ces pièces symbolisent l’horlogerie propre à Vacheron Constantin où la technique est au service de l’élégance.

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Focus sur quelques pièces

Montre de poche Bras en l’air bicolore or jaune-or gris, affichage bi-rétrograde (Ref. Inv. 11060) – 1930
Bicolore et bi-rétrograde, cette montre de poche réalisée en 1930 illustre la recherche esthétique permise par les affichages spéciaux. Elle présente un magicien chinois dont les bras indiquent, à la demande et sur pression d’un poussoir à 10h, les heures et les minutes sur deux arcs de cercle gradués figurant de part et d’autre du cadran argenté satiné. Au fil des heures, le magicien réalisé en or gravé et émaillé prend des postures différentes, non sans rappeler le monde des automates en vogue à cette époque.

Montre de poche La Caravelle en platine, sertie de diamants, affichage bi-rétrograde (Ref. Inv. 11119) – 1937
Vers les années 1800, apparaît un type d’affichage à secteurs nommé « à bras levés » ou « à bras en l’air ». Sur la plupart de ces cadrans se trouve un personnage aux bras mobiles servant à indiquer les heures et les minutes. Le plus souvent cet affichage n’est pas continu, exigeant une pression sur le pendant de la boîte pour positionner les aiguilles sur l’heure effective. Un siècle plus tard, les Années folles donnent un nouvel allant à cet affichage original « bras en l’air », comme sur cette montre de poche de 1937, appelée La Caravelle. Les voiles du vaisseau central serti de diamant sont prolongées par deux aiguilles rétrogrades servant à l’indication des heures et des minutes.

Pendulette Art déco en or jaune, onyx, cristal de roche et lapis-lazuli (Ref. Inv. 10548) – 1927
Avec son mouvement huit jours à affichage rétrograde des heures, cette pendulette de 1927 est réalisée dans le plus pur style Art déco. Façonnée en or jaune 18 carats, rehaussé d’onyx, de cristal de roche et de lapis-lazuli, elle offre une structure en forme d’éventail affichant les signes du zodiaque. Sur le devant figure un mascaron de fontaine-portique laissant écouler son eau réalisée en cristal de roche à travers la bouche.

Montre bracelet Mercator en or jaune, affichage bi-rétrograde (Ref. Inv. 11992) - 1995
La montre Mercator, hommage à l'humaniste et savant géographe Gérard Mercator (1512-1594), présente un affichage double rétrogradant et divergent à double secteur des heures et des minutes. Cet affichage prend place sur un cadran en or jaune 18 carats, entièrement gravé main, représentant la carte des Amériques selon la cartographie de Gérard Mercator. Les deux aiguilles, positionnées sur l'axe de midi, permettent la lecture instantanée de l'heure et des minutes. Elles forment un compas aux pieds mobiles, semblable à l'instrument que le cartographe utilisa toute sa vie durant et dont il fit sa signature.

Montre bracelet Saltarello en or jaune, affichage des heures sautantes et minutes rétrogrades - 1997
Le modèle Saltarello de forme coussin répond à cette recherche esthétique du classic with a twist, où l’élégance s’exprime de manière décalée et originale. Il est doté d’un cadran argenté soleil avec une minuterie en chiffres arabes dans un boîtier en or jaune et fond transparent.

Montre bracelet Saltarello en or rose, affichage des heures sautantes et minutes rétrogrades (Ref. Inv. 11000) – 2000
Présenté pour la première fois lors d’un salon horloger à Berlin en 1997, la montre Saltarello a fait l’objet d’une édition limitée de 500 pièces en or blanc (200), rose (200) et jaune (100). Equipée du calibre 1120 affichant les heures sautantes par guichet et les minutes par aiguille rétrograde, cette montre rend hommage aux affichages spéciaux pour lesquels Vacheron Constantin était connue dans les années 1920. Ce modèle fait partie des 200 pièces en or rose avec cadran en or rose, guilloché main.

Montre bracelet Mercator en platine, affiche bi-rétrograde (Ref. Inv. 12055) - 2001
Le cadran en émail grand feu polychrome, selon la technique du cloisonné et de la miniature, reproduit les cartes dessinées par Mercator lui-même, mathématicien et géographe flamand du 16è siècle, notamment celle de l’Europe qui figure sur ce cadran. Les aiguilles rétrogrades, sautante pour les heures et semi-traînante pour les minutes, en forme de compas ont été spécialement conçues pour cette collection.